Axe "Formes d’autorité et sociétés d’Asie du Sud-Est"

Comprendre les sociétés d’Asie du Sud-Est dans leurs spécificités, leur diversité linguistique et
religieuse, leur porosité aux grandes influences culturelles, leur pluralisme intrinsèque, implique d’analyser les formes d’autorité mises en oeuvre pour mobiliser, réunir et légitimer les formations sociales. Que l’autorité soit religieuse, politique ou autre, elle peut s’exercer à différents niveaux pour soutenir des organisations très variables, en importance et en nature, des royautés « galactiques » aux États-nations, des sociétés de montagnards aux sociétés « ésotériques ».
L’autorité ainsi comprise se distingue du concept politique de pouvoir en ce qu’elle implique une capacité à agir sur le corps social – et à en être reconnue – qui ne repose pas sur la contrainte. Cet axe de recherche vise à explorer dans le matériel archéologique, les sources historiques ou l’ethnographie contemporaine, les formes d’autorité et de pouvoir sur lesquelles s’appuient les
articulations réticulaires de la socialité : souverains-sujets, patrons-clients, seigneurs-hommes liges, maîtres-esclaves, maîtres-disciples, clans maîtres de la terre-autres clans…, et la manière dont elles se combinent dans la composition des sociétés d’Asie du Sud-Est.

1. Autorité esthétique et autorité du religieux

Les sociétés sud-est asiatiques ont été façonnées et orientées par des types d’autorité dont
l’efficacité repose sur des valeurs ou des formes issues de registres religieux ou esthétiques variés.
L’accent sur ce qui fait autorité dans ces systèmes religieux et esthétiques a pris une importance croissante dans les approches développées au cours de notre dernier quinquennal, dans le cadre des études religieuses comme dans celui de l’étude des élites, en partenariat avec des spécialistes des aires culturelles voisines (le Centre d’Étude de l’Inde et d’Asie du Sud, le Centre Chine Corée Japon, le Centre d’études himalayennes).
Le programme Autoritas (2016-18) https://sites.google.com/site/autoritasprogramme/, porté
conjointement par D. Rappoport (CASE) et Tiziana Leucci (CEIAS) a pour but de comprendre comment les formes et les conduites esthétiques contribuent à établir différents types de légitimité, de l’Asie du Sud à l’Insulinde. Associant l’EHESS, l’EFEO, l’EPHE et le Collège de France (sur un financement de la CoMUE PSL), plusieurs membres du CASE (R. Madinier, A. Vallard,H. Poitevin, E. Degay-Delpech, doct. CASE) et jeunes docteurs membres associés (E. Clavé, G. Facal, L. Labbé, P. Sorrentino, K. Basset, S. Andrieu) qui étudient des pratiques aussi variées que les arts de la performance et les arts visuels, dans les contextes des cultures palatines ou villageoises, mettant en résonance l’Asie du Sud et l’Asie du Sud-Est, deux grandes régions reliées de longue date par des réseaux d’échanges intenses. Un colloque international est prévu pour les 24 et 25 mai 2018.
La question de l’autorité et de la légitimité du religieux est traitée par différents groupes de travail au sein du CASE et déclinée à travers trois angles d’approche :

  • le rituel, sa place controversée dans les bouddhismes et ce qu’il peut nous apprendre des manières dont le religieux est construit dans les sociétés bouddhiques sera une thématique centrale des programmes du séminaire Anthropologie comparée du bouddhisme dirigé par B. Brac de la Perrière (CASE) et Nicolas Sihlé (CEH), et l’objet d’une publication en collaboration Brac de la Perrière (CASE) - Jackson (ANU),
  • organisé pour le CASE par V. Bouté et Y. Goudineau en collaboration avec des collègues du CEIAS comme Denis Vidal ou du CCCJ comme Béatrice David, un groupe de travail s'intéressera aux modalités de reprise sur la longue durée de certaines pratiques rituelles, techniques, esthétiques dans des contextes politiques, religieux, technologiques qui les condamnent ou les rendent obsolètes. Le séminaire s’appuiera sur la discussion de matériaux ethnographiques détaillés et visera à produire des propositions théoriques renouvelées concernant les logiques de résilience et les conditions d’un comparatisme pertinent sur des ensembles régionaux larges, impliquant une ouverture sur la Chine du Sud et le monde indien,
  • enfin, le troisième angle d’approche sera celui de l’autorité religieuse en lien avec les idéologies nationales. Au sein du programme EPHE/EHESS/CNRS « What does Asia tell us about the secular? Local resources and global exchange in the production of terminology and norms » (2017-2018), R. Madinier analysera le nationalisme indonésien à travers l’idéologie fondatrice du Pancasila, modèle de sécularisme inédit en ce qu’il repose sur la foi en un dieu unique. Dans ce même pays, Ayub Mursalin (doct. CASE) explorera les affrontements autour de la loi sur le blasphème, combattue par les partisans de la sécularisation et instrumentalisée par les tenants d’un islam radical. En Birmanie, où la transition démocratique suscite une reformulation bouddhique de l’idéologie nationale, B. Brac de la Perrière étudie le mouvement nationaliste bouddhique qui en est le produit tandis qu’A. de Mersan s’interroge sur la place de l’Islam dans la formulation arakanaise de cette idéologie nationale.

2. Formes d’autorité et formations élitaires

Qu’elle repose sur les récits fondateurs de lignées aristocratiques issues de figures de l’étranger ou les promesses de prospérité des bourgeoisies marchandes globalisées, la fabrique des élites et leur renouvellement est une question centrale de la sociologie de l’Asie du Sud-Est à laquelle le séminaire du CASE a été consacré durant le précédent quinquennal. Elle restera au coeur de nos interrogations sur les formes d’autorité et sur les formations élitaires qu’elles soutiennent.
Les travaux d’histoire portant sur les royautés anciennes ou modernes de l’Asie du Sud-Est continentale examineront certaines pratiques constitutives de l’autorité royale. E. Bourdonneau et G. Mikaelian, en collaboration avec D. Goodall (EFEO), étudieront ainsi les inscriptions du Cambodge ancien afin de comprendre le contexte de leur réalisation et d’analyser la pratique épigraphique en tant que telle et dans son lien avec l’exercice du pouvoir royal. M.-S. de Vienne poursuivra quant à elle son analyse du fonctionnement des monarchies sud-est asiatiques. Deux ouvrages sont en cours sur les royautés de tradition theravadin thaïe, d’une part, et cambodgienne, d’autre part, en collaboration avec G. Mikaelian. Par ailleurs, elle élargira sa recherche aux sultanats malais dont les élites princières, au-delà de l’épisode colonial et des indépendances, n’en ont pas moins fait preuve d’une résilience remarquable. B. de Tréglodé dirigera avec E. Frécon (Ecole Navale Militaire) un groupe de recherche qui questionnera l’évolution du rôle des forces armées comme élites stratégiques au sein des appareils d’Etat. L’objectif est notamment d’évaluer, à l’aune de la démocratisation des régimes dans la région, ce qui a changé en Asie du Sud-Est, dans quelles conditions et à quelles fins.
Enfin, certains projets porteront sur la formation d’élites locales ou intermédiaires. Il ne s’agit
plus ici de déterminer comment les groupes frontaliers ou marginaux se différencient de leurs
voisins (Axe 1) mais de comprendre sur quelles formes d’autorité reposent ces corps sociaux
« intermédiaires » et dans quelle mesure ils génèrent de nouvelles centralités. Au Laos, dans le contexte d’ouverture des frontières et d’urbanisation croissante, V. Bouté enquêtera sur l’apparition de nouvelles catégories de personnes dont l’influence sur des localités, des groupes ou des réseaux leur confère un statut d’élites locales et ce dans une perspective comparative, dans le cadre d’un programme européen Horizon 2020 (piloté par l’EFEO) et soumis en mai 2017. Au Cambodge, M. Guérin étudiera les effets de l’administration coloniale sur la formation et les pratiques des élites rurales. A. Dabat proposera une prosopographie des administrateurs coloniaux au Laos. Enfin, B. Brac de la Perrière poursuivra ses recherches sur les spécialistes du religieux et du rituel en Birmanie et sur leurs « carrières spirituelles » au cours des trente dernières années, afin de cerner les dynamiques de légitimation de ces autorités.

3. Idéologies nationales et culturelles : autorités, langueset éducation

Les idées de nation et de culture, au fondement des appartenances modernes caractéristiques des Etats-nations, appartiennent au legs que les administrations coloniales ont laissé aux sociétés les ayant précédées. La généralisation des idéologies nationales et culturelles dans les sociétés contemporaines représente une mutation remarquable de la combinatoire de valeurs autochtones et d’influences externes qui se sont imposées aux sociétés sud-est asiatiques, avant la période coloniale, pour en orienter les formes d’organisation.
L’éducation publique constituant un relais important de formation et de transmission des idéologies nationales, A. Iteanu s’attachera à en comprendre les articulations au niveau villageois dans le contexte Orokaiva (Papouasie-Nouvelle Guinée) tandis que N. Salem analysera les effets des nouvelles politiques éducatives birmanes sur la construction nationale.
Dans un environnement régional plurilingue où, depuis les indépendances, les langues nationales et locales contribuent à définir les identités des individus et des groupes, J. Samuel, en coopération avec le PLIDAM (équipe d'accueil en sociolinguistique de l'INALCO), la Faculté des Langues et de Linguistique d'Universiti Malaya (Kuala Lumpur) et le Centre d'Études sur les Langues et les Cultures d’Universitas Atma Jaya (Jakarta), mène un programme de recherches sur le thème des langues communes en Asie du Sud-Est (en l’occurrence le malais et ses dialectes, le mandarin et l’anglais) et de leur circulation, des pratiques et représentations, identitaires notamment, induites par ou associées à la circulation de ces langues. La question des langues et de leur circulation sera également au coeur de la recherche qu’E. Luquin mène dans la société Mangyan Patag (Mindoro, Philippines).

Collaborations et partenariats :

Les membres de l’Axe travaillent au sein de différents programmes en lien avec diverses
institutions :

  • Fakultas Ilmu Budaya (Universitas Indonesia),
  • institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM) ;
  • Programme « What does Asia tell us about the secular? Local resources and globalexchange in the production of terminology and norms », financé par la CoMUE PSL, Faculté des Langues et de Linguistique de l’Universiti Malaya (Kuala Lumpur) et Centre d'Études sur les Langues et les Cultures d’Universitas Atma Jaya (Jakarta).

Ils sont également porteurs de différents projets :

Ils ont soumis différents projets pour financements :

  • dépôt d’ANR (phase 2) en avril 2017, dans un partenariat CASE/PALOC (Patrimoines Locaux – IRD/MNHN) concernant l’Est insulindien et les problèmes de politiques culturelles (D. Rappoport et J. Samuel).